J'appelle Karl pour qu'il s'occupe des enfants
Appeler Karl... Pour en arriver là, il vous a fallu une alerte sanitaire, les supplications de vos deux fils et, le même jour, une obligation professionnelle impossible à déplacer. Bon... mais il a fallu, de surcroît, que vous oubliez votre téléphone portable dans lequel était enregistré son numéro direct, ce qui vous oblige actuellement à chercher le numéro de son cabinet d’architecte pour, évidemment, passer par sa... secrétaire.
Vous respirez profondément en composant le numéro. A la première sonnerie, vous pensez à vos enfants. A la deuxième sonnerie, vous pensez à votre carrière. A la troisième sonnerie, vous pensez à...
« - Cabinet Bergman et Gutti, bonjour.
- Bonjour Cynthia... Pourrais-je parler à Karl, s’il vous plait.
- Oui, c’est à quel sujet ?
- Au sujet de ses deux enfants.
- Ah ?... Excusez-moi, bien sûr, je ne vous avais pas reconnue. Rien de grave, j’espère ?
- Non, enfin si... Bon, disons un problème d’organisation relativement important. J’aurais donc besoin de lui parler.
- Bien sûr, ne quittez pas. Il est en communication mais je vais le secouer un petit peu. »
Bip et en avant la musique d’ascenseur. Vous suppliez les garçons de rester calmes encore quelques minutes mais ils n’ont pas l’air de comprendre votre sacrifice. Remarquez qu’il vaut peut-être mieux qu’ils ne comprennent pas tout... De toute façon, le pire avec cette Cynthia, c’est qu’elle est adorable. Au début, vous étiez persuadée qu’elle se moquait de vous mais, en fait, non... Une vraie cruche. Karl l’adore et, apparemment, les enfants... l’aiment bien.
« - Oui, c’est moi. Cynthia m’a dit que tu avais un problème avec les garçons.
- Oui, figure-toi que j’ai dû partir en catastrophe ce matin au centre Edouard Michelet. Les installations sont fermées pour des raisons sanitaires et les parents doivent récupérer leurs enfants aujourd’hui.
- Ah, Julien et Baptiste sont à Michelet ? C’est gentil de me prévenir.
- Mais si, je t’en avais parlé... Bon, le problème c’est que les enfants sont plutôt... très déçus de partir. Ils aimeraient profiter de leur journée mais, moi, j’ai une interview calée cette après-midi pour un article à rendre demain. Donc, en fait, j’aimerais savoir à partir de quelle heure tu pourrais... prendre le relais.
- Mais c’est quoi cette alerte sanitaire ?
- Deux cas de méningite mais pour des enfants situés dans un autre bâtiment avec d’autres activités... Le directeur pense qu’il n’y a aucun risque pour Julien et Baptiste mais il doit appliquer les réglementations. Pour l’instant, ils vont très bien et il n’y a rien de particulier à faire. Pour le reste, j’ai une plaquette avec tous les éventuels symptômes à observer et les démarches à suivre. Bref, je n’en sais pas plus mais, pour l’instant, ils vont très bien et ils aimeraient ne pas gâcher complètement leur journée.
- Donc je dois... prendre le relais.
- Oui, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas te déranger mais là...
- Oh, pour ça, je te fais confiance. Par contre je... regrette un peu que tu ne me préviennes qu’au dernier moment. Tu es au courant depuis quelle heure ?
- Depuis environ 7h30 mais je suis partie très vite en oubliant mon téléphone portable.
- Juste aujourd’hui ? C’est malin.
- Oui mais, excuse-moi, je ne l’ai pas fait exprès et, en ce qui me concerne, je n’ai malheureusement pas de... secrétaire.
- Tu as tort, ça règle bien des problèmes et...
- Bon, laisse tomber tes commentaires : tu peux prendre les garçons, oui ou non ?
- Oui. Quelle heure est-il ?... Tu les déposes à mon cabinet, je me débrouillerai pour les emmener déjeuner et, ensuite, on ira passer l’après-midi au bowling. Ça ira ?
- Oui mais... mon rendez-vous est à 15 heures : je pensais te les emmener après le déjeuner.
- Alors on n’a qu’à manger ensemble tous les quatre, ça nous aidera à reconstituer des relations normales. Qu’est-ce que tu en penses ?... Allo ?
- Oui, excuse-moi mais tu me prends un peu de court... On devrait peut-être essayer de régler un seul problème à la fois, non ?
- Bon... Il est 9h30. Passe la matinée avec les garçons, emmène-les moi pour déjeuner et, d’ici-là, tu auras le temps de voir si tu souhaites rester avec nous, d’accord ? Il n’y aura pas de coup fourré, ça fera plaisir aux enfants et, dans le pire des cas – si tu ne veux pas rester – je serai content de les avoir un petit repas de plus avec moi... Si tu préfères, réfléchis-y ce matin et rappelle-moi pour confirmer.
- Je ne pourrai pas te rappeler puisque je n’ai pas mon téléphone... Bon, on fait ça et... on prendra un petit quelque chose ensemble. On boira un truc et je vous laisserai déjeuner : j’ai peur que sur la durée d’un repas...
- Bon, alors OK pour l’apéro. A tout à l’heure et embrasse bien les garçons. Montre-leur que, en cas d’urgence, on sait faire bloc autour d’eux.
- Oui, c’est ça... A tout à l’heure. »
Au moment de raccrocher, vous vous rendez compte à quel point vos enfants ont été étonnamment calmes pendant la conversation. D’habitude, ils ne tiennent pas plus de trente secondes sans se sauter dessus même quand vous parlez au directeur de leur école. Ils sont restés assis et ils vous regardent maintenant d’un air... bizarre.
« Bon, mes chéris, une matinée au lac avec maman et une après-midi au bowling avec papa, ça vous intéresse ? » Ouf, ils sautent en l’air en criant de joie. Vous êtes rassurée.