Je prends un taxi
« - Karl ?
- Oui...
- Le jour où j’aurai besoin de toi pour me payer un taxi, c’est mon avocate qui t’enverra directement la facture.
- Vraiment ? C’est dramatique que tu en sois restée à ce niveau-là même quand ça concerne les enfants. Mais si jamais... »
Ah, le plaisir de raccrocher la première... Bon, vous aviez eu un petit moment de doute mais, effectivement, personne ne viendra simplifier votre journée.
Rationnelle et détendue... Vous reprenez à votre compte l’idée de Karl : réserver un taxi pour la matinée. Et vite. Guibert va arriver et vous devez prévenir votre mère avant de pouvoir partir. Téléphone, annuaire électronique.
8h31, Guibert sonne à votre porte. 8h39, votre mère arrive chez vous. 8h47, vous obtenez un numéro de réservation de taxi. Les ouvriers déballent leur matériel, vous discutez des derniers détails avec Guibert et vous demandez à votre mère de vous appeler au moindre problème (vous vérifiez trois fois que votre téléphone est bien dans votre sac).
« - Et je suis bloquée ici jusqu’à quelle heure ?
- Je vais chercher les enfants et je rentre. Le plus tôt possible... En plus, ce n’est pas moi qui vais conduire. »
Vous préférez ne pas lui annoncer tout de suite que vous aurez besoin d’elle cette après-midi pour garder les enfants pendant votre interview (voire même le temps que vous rédigiez l’article...). Vous montez dans le taxi à 9h04 (attention à la flaque d’essence). Le chauffeur démarre, direction le camp de vacances.
« Et mon téléphone ? » Pas de panique, vous avez vérifié trois fois avant de partir. Soyez rationnelle mais détendez-vous.
Les ronds-points, le feu rouge, l’autoroute. Il est 9h17, le taxi roule à une allure normale. Vous serez arrivée au centre de vacances avant 11 heures du matin. Vous êtes rassurée. Satisfaite ? Les jours à venir vont être compliqués. Le travail, les travaux, les enfants... Votre mère ne sera pas disponible à merci... Se faire aider... Mais par qui ? La conférence de rédaction aura lieu demain matin. Après l’article sur Claude Lestang, vous demanderez à travailler sur des sujets que vous pourrez traiter depuis chez vous : vous avez gardé quelques dossiers de presse qui vous suffiraient à remplir plusieurs papiers dans les rubriques Tendances et Shopping. Et vive l’informatique... Le chauffeur n’a décidément rien à vous dire.
10h04, vous êtes toujours sur l’autoroute. Vous avez dû vous assoupir quelques minutes. Un peu plus, peut-être... Le chauffeur ne vous considère toujours pas. Que pourriez-vous trouver pour entamer la conversation ?... Et puis non. A quoi pouvez-vous penser ? Être seule... Réfléchir... Se débrouiller... Bon, autre chose ? Ah, le téléphone sonne.
« - Oui, maman ?
- Je t’appelle parce que monsieur Guibert me demande quel emplacement tu as finalement choisi pour la double-vasque. Centré entre la douche et le mur ou dans l’angle ?
- Est-ce que le meuble a été monté ?
- Oui, il n’y a plus qu’à le fixer.
- Bon, eh bien, positionne-le des deux manières et vois ce qui te semble être le plus pratique.
- Ah, surtout pas. Je veux bien surveiller les travaux mais tu prends les décisions toi-même.
- Oui mais, sans être sur place...
- Ça ne t’empêchera pas de faire des reproches ensuite. Donc, tu imagines et tu choisis.
- Mais tu peux quand même me donner ton avis, non ?
- Tu sais bien que, en ce qui concerne l’organisation de ta vie, je préfère ne plus avoir d’avis. Ça m’est toujours retombé dessus.
- Bon, il s’agit simplement d’un meuble de salle de bain. Il n’y a pas d’erreur fondamentale à commettre dessus, non ?
- Explique-moi ce que tu préfères et tu ne m’as toujours pas dit à quelle heure je pourrai rentrer chez moi. Tout ce boucan et cette poussière commencent à être pénibles.
- D’accord... Dis à Guibert de centrer le meuble et je t’appellerai sur le chemin du retour pour te dire précisément à quelle heure je pense être rentrée. Tu as des choses de prévues cette après-midi ?
- J’en prévoirai dès que je saurai à quelle heure je serai disponible. Bon, pense bien à poser toutes les questions nécessaires à propos de la méningite. J’ai lu des choses pas très drôles à propos de cette maladie.
- D’accord.
- Et puis, un petit rendez-vous chez le médecin, ça ne coûte pas grand-chose.
- On en discutera dès que je rentrerai. Allez, à tout à l’heure. »
10h41, le taxi approche du centre sportif. Pas un mot en près d’une heure et demi de trajet. La délivrance est proche... « Je préfère ne plus avoir d’avis... Ça me rappelle des choses, ça... Moi aussi, j’aimerais pouvoir me cacher et ne pas prendre de décisions mais bon... Je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui. Au fond, elle a toujours été comme ça... »
Le taxi s’arrête sur le parking. A peine avez-vous refermé la portière que le chauffeur est déjà en train de lire son journal. Vous repérez le directeur du centre qui est en train de discuter avec d’autres parents. Il est 10h50 : vous êtes à l’heure et vous vous dites que, dans cette journée bizarre, vous avez probablement fait le plus dur.