Je reste passer l'après-midi à la maison
« Bon, il est probablement écrit quelque part que le monde entier a décidé de m’em... aujourd’hui. » Vous prenez une profonde respiration afin de faire monter en vous la meilleure (ou la moins mauvaise) des solutions.
« - Maman... Je dois écrire mon article et le rendre pour ce soir. Est-ce que tu pourrais m’accorder encore une vingtaine de minutes pour que j’essaie de faire mon interview par téléphone ? Ils ont des devoirs de vacances à faire et, ensuite, je m’occupe d’eux, du chantier et de tout le reste.
- Mais, maman, j’ai pas envie de travailler moi. On aurait dû faire du canoë aujourd’hui.
- Bon, vingt minutes ça va. Allez, les enfants, vous allez juste faire deux exercices chacun après quoi vous direz au revoir à mamie. »
Rationnelle et détendue. Il faut au moins cela pour pouvoir faire face au manque d’enthousiasme général qui règne autour de vous... Vingt minutes. Vous prenez votre téléphone, vous allumez votre ordinateur et vous fermez la porte de votre bureau. Il est déjà 15h12 et Claude Lestang vous attendait pour 15 heures à son restaurant... En plus, au téléphone, vous n’allez pas pouvoir vous servir de votre dictaphone. Vous sortez votre liste de questions et vous vous préparez, tant bien que mal, à prendre des notes... soit sur la feuille soit sur votre ordinateur (vous verrez bien). « Allez, à l’ancienne. Bon, le cuistot, il répond ou il répond pas ? »
« Restaurant le Sentiment, bonjour. Jean-Pierre à votre service. » Et c’est à ce moment-là que, venu du fin fond de votre salle de bain, retentit le chant du perforateur. « M... ! J’ai oublié de prévenir Guibert. »
« Allo ? Allo ? Oui... Pouvez-vous répéter votre nom ?... Ah, pour l’interview ?... Bon, ne quittez pas, je vais prévenir monsieur Lestang. »
Silence (au moins dans l’écouteur...). Vous commencez à noter maladroitement : Claude Lestang, 43 ans, restaurant le Sentiment depuis... « Je n’ai même pas pensé à mettre mon oreillette pour avoir les deux mains libres. Quelle journée... Ah, au moins, ils ont fini de percer.»
« - Claude Lestang, bonjour.
- Tiens, je pensais que ça se prononçait avec le « s ». Bonjour, je suis vraiment désolée mais, depuis ce matin, j’ai accumulé toute une série d’imprévus et je ne pourrai pas me déplacer pour venir vous rencontrer cette après-midi. Comme l’article doit être mis en page demain matin, accepteriez-vous que nous fassions l’interview par téléphone ?
- Oui... s’il n’y a pas d’autre choix. Mais, pour tout vous dire, j’étais déjà surpris que vous souhaitiez faire un article sans avoir goûté ma cuisine alors là...
- Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude.
- Ah bon...
- Enfin, non, excusez-moi. D’habitude, je me rends sur place mais en cas de... »
Et le chant du perforateur reprend alors pour vous enfoncer dans vos maladresses. Auriez-vous pu imaginer mener un jour une interview aussi ridicule ? Bon, vous essayez de poser vos premières questions. Claude Lestang ne comprend pas. Vous répétez, il répond. Vous notez. Le perforateur s’arrête. Vous posez une autre question. Ce sont maintenant des coups de marteau qui résonnent. Claude Lestang se laisse aller dans sa réponse. Vous entendez un mot sur trois. Votre stylo ne marche plus. Vous l’interrompez. Il s’agace. Vous cherchez la question suivante. Julien tape à la porte du bureau pour vous dire qu’il a déjà fini ses deux exercices. Vous répétez votre question. A nouveau le perforateur. Claude Lestang continue de parler... Quelle heure est-il ?
« - Excusez-moi, monsieur Lestang, mais je crois que... rien ne sera décidément possible cette après-midi.
- Evidemment, n’insistez pas et passez demain au restaurant.
- Ça non plus ce n’est malheureusement pas possible... Par contre, je vais vous envoyer par mail ma liste de questions. Pourriez-vous y répondre par écrit et me la renvoyer ?
- Euh... Pour quelle heure ?
- Dans l’après-midi ou dans la soirée... Ne vous embarrassez pas avec des formules, donnez juste des informations et je ré-écrirai tout.
- Bon, je pense que vous avez l’habitude.
- Non, je vous promets que je n’ai absolument pas l’habitude de travailler dans ces conditions. Je suis vraiment désolée mais c’est une situation... extrême.
- Je comprends...
- Merci. Ah et il faudrait aussi que vous m’envoyiez une photo de vous et deux ou trois photos de votre restaurant pour illustrer l’article. Faites des images simples et, surtout, ne les compressez pas. Sinon je reprendrai celles de votre site Internet mais bon...
- D’accord, je ferai de mon mieux. Bonne après-midi, madame. »
« Quelle journée... Vu le ton de sa voix, il vaudrait mieux que j’aille manger chez lui incognito... J’espère en tout cas qu’il ne me plantera pas... Voilà, j’envoie le fichier et je vais voir Julien... et tout le reste. »
Il est 15h31 lorsque vous sortez de votre bureau. Julien est déjà devant la télé. Guibert et ses ouvriers rangent le matériel de perçage pour commencer à préparer l’enduit et le carrelage. Baptiste est toujours dans sa chambre. Votre mère vous attend dans le salon avec son sac à la main. « Ça y est ? Je peux y aller maintenant ? »