Je suis une Femme

               « - Allô ?
- Bonjour, madame... Excusez-moi de vous déranger à cette heure mais je suis le directeur du centre sportif Édouard Michelet et je vous appelle au sujet de Julien et Baptiste.
- Oui, que se passe-t-il ?
- Rien de grave en ce qui les concerne mais nous avons deux enfants, dans un autre groupe, qui sont tombés malades cette nuit et qui pourraient avoir attrapé une forme de méningite. La préfecture nous demande de fermer temporairement le centre pour éviter la contagion et nous contactons les parents afin qu'ils viennent au plus vite récupérer leurs enfants. Vous comprendrez évidemment que c'est une situation d'urgence.
- Oui mais... Je dois venir ce matin ?
- Vous ou quelqu'un de votre famille. En tout cas, si vous ne venez pas personnellement, il faudrait me préciser à l'avance les nom et prénom de la personne qui se présentera... Si possible dans la matinée.
- Très bien... Je vais m'organiser et essayer de les récupérer au plus vite.
- Merci beaucoup, madame. Merci de votre compréhension.
- Merci à vous. À tout à l'heure. »

 

Aïe ! Cette fois, ça y est. Vous vous souvenez du jour qu'il est et de tout ce que vous aviez prévu de faire... Sans les enfants. Le programme de la journée ? À 8h30, arrivée de Guibert et de sa bande : c'est-à-dire toute l'équipe de plombiers, peintres et carreleurs chargés de terminer le chantier de la grande salle de bain à l’italienne, votre rêve depuis bientôt 10 ans...

Ensuite ? Surveillance du chantier, choix des dernières couleurs avec M. Guibert... De toute façon, dans votre idée,  il était hors de question que les ouvriers repartent aujourd’hui avant que vous n’ayez validé les moindres détails de finition. Ensuite ? L'article à écrire pour le bouclage de demain avec, évidemment, une interview-photo (calée à 15h00) du chef cuisinier Claude Lestang qui doit vous recevoir dans son restaurant.

« Bon, maintenant que le bilan est fait, je commence par où ? »

 

               Vous commencez par un deuxième café. L'idée de vous doucher dans ce qu'il reste de votre salle de bains éventrée ne vous motive guère... Personne ne le saura. Le temps de vous habiller, vous échafaudez votre plan de sauvetage.

« Pour aller chercher des gamins au camp, j'en ai pour 1h30 aller puis retour, sans compter le temps de les embarquer. Impossible d'être là pour le plombier. Solution ? Maman... Elle a les clés, elle pourra ouvrir et rester avec les ouvriers. Pour les choix, elle m'appellera. Et l'interview... impossible de me pointer là-bas avec les garçons. Déjà qu'ils ne tiennent pas en place à la maison... Solution ? Leur père. Je vais appeler Karl, pour une fois qu'il peut me rendre service et s’occuper des petits. De toute façon, dans les deux cas je n'ai pas le choix, je ne vois pas pourquoi il l'aurait lui aujourd'hui. Allez, c'est parti ! »

Vous savez que, pour ne pas laisser le choix aux gens, il faut éviter de les prévenir trop tôt. « J’appellerai tout le monde de la voiture... Mon oreillette ? Où est mon oreillette ? »
Ah, premier contretemps dans le plan de sauvegarde. L'oreillette doit être au fond de votre sac. Oui, mais lequel ?

Hors de question de partir sans elle depuis que vous avez rédigé votre article sur les risques du téléphone au volant. L'interview des gendarmes vous avait complètement traumatisée. Et puis il y aura des enfants... Et puis il y a les ondes... « Bon, où est-ce que j'ai foutu cette p... d’oreillette ? »

Une oreillette sans fil en plus... Une fois tous vos sacs vidés par terre, vous comprenez qu'elle est probablement restée dans une des poches votre veste... Gagné ! Mais vous comprenez que ça ne sera pas la peine de finir votre deuxième café. Vous mettez immédiatement votre oreillette en place. Vous fermez le chemisier. Les chaussures. Le manteau. Vous reconstituez votre sac et vous descendez jusqu'à la voiture. Vous démarrez. Direction, l'autoroute.

 

« Bon, je vais d'abord prévenir maman. Même sans voiture, elle aura le temps de venir. J'espère qu'elle va pas me gonfler avec son club de gym ou ses copines. » Vous appuyez sur le bouton de l'oreillette... Mais rien ne se passe. « Le portable est peut être éteint. »

Dans votre métier, si le portable est éteint cela signifie que la batterie est vide. Heureusement, vous avez votre chargeur de voiture. « Hou la ! Pas prudent ça... je vais attendre un feu rouge. »

Le portable est dans le sac, sur la place du passager, mais il vaut mieux regarder la route. « Un feu rouge... Mais pourquoi est-ce qu’il n'y a que des ronds-points dans ce quartier ? » 7h45, bientôt l'autoroute.

« Il faudrait vraiment que je la joigne maintenant. Le temps qu'elle me raconte ses... Stop ! » Ça y est ! Un feu rouge !
Vite, vous ouvrez le sac ! « Le portable... Le portable... Le portable ? Le portable ?? M... ! j'ai oublié le portable !!! »

Ben oui, à trop vouloir chercher l'oreillette, vous... Évidemment, le feu passe au vert. Le nez au fond du sac. Les premiers klaxons s'affolent derrière vous. Face à vous, la rampe d'accès à l'autoroute. Sur la gauche, la bretelle qui retourne en ville. 7h49. Les enfants qui vous attendent. Baptiste. Julien. La méningite. Les ouvriers. L'interview. L'article. Tout votre plan est foutu.

Vite ! Décidez-vous !

Vous desserrez le frein à main. Vous passez la première. C'est à vous de choisir maintenant.

 

Je retourne chercher mon téléphone.

Je m'arrêterai téléphoner dans une station-service.

Je vais directement chercher les enfants.