Je me lève et je suis le jeune homme
Vous jetez un dernier coup d’œil à la table en vous demandant si l’addition du déjeuner a bien été réglée : « Euh, Marina a payé... Ou moi... Ou toutes les deux. Bon, bref, c’est réglé. Le pourboire... tant pis. » Vous ramassez votre sac et vous vous efforcez d’avancer sans trop trembler sur vos jambes.
Vous fixez votre regard sur le dos du jeune homme et vous marchez droit dans sa direction. « Quelle heure est-il ? Non, ce n’est pas le moment... ça y est, il a traversé la rue. » Vous êtes sur le passage piéton et le feu est... Bon, ne pas perdre sa trace mais attention quand même. Déjà que votre vue baisse ces temps-ci... Il marche vite, en plus. Vous avez déjà bousculé trois ou quatre personnes. « Je vais finir par percuter un lampadaire... Oh, ma tête. » Vous essayez de réfléchir à... ce que vous pouvez.
« Pour être sûre, il faudrait que je le rattrape et que je le vois de face... Mais, alors, il va me voir aussi. Après tout, si c’est bien Philippe, ça ne lui posera pas de problème, sinon il m’ignorera... Je vais essayer d’accélérer un peu. Mais qu’est-ce qu’il pourrait bien être venu faire ici sans me prévenir ? Je l’ai encore eu hier au... Ah, non, c’est Valérie qui m’a répondu. Oh ma tête... Ah, ça y est, il tourne mais... Mais c’est... un hôtel et... Mais... »
Vous cherchez désespérément quelque chose pour vous appuyer. Vous titubez sur place, la bouche ouverte, en essayant de comprendre quelque chose à ce que vous venez de voir. Comment l’expliquer ?... C’était bien Philippe, ça vous en êtes sûre. Il était là, devant vous, et... il a retrouvé une femme devant la porte de cet hôtel que vous ne connaissiez même pas. Une grande brune. Elle lui a fait un grand sourire et ils sont entrés ensemble à l’intérieur ! Et ce n’était pas Valérie, ça vous en êtes... « Ma tête... Une chaise, par pitié. »
Vous remarquez quelques tables disposées sur le trottoir juste après l’entrée de l’hôtel. Vous passez devant la porte vitrée... ils ne sont plus dans le hall. « Mais qu’est-ce que c’est que cet hôtel ? Pourquoi est-il venu ici ? Oh non, ce n’est pas possible... » Vous vacillez encore sur quelques mètres et vous vous effondrez littéralement sur une des chaises de la terrasse.
« - Un thé, s’il vous plait... Et un grand verre d’eau fraîche.
- Bien madame.
- Excusez-moi mais est-ce que... Qu’est-ce que...
- Oui ?
- Non, rien. Excusez-moi... Et en voilà un qui doit être convaincu que je suis folle ou alcoolique. Mais qu’est-ce que je fais ici ? »
Vous essayez de résumer cette situation rocambolesque, d’envisager toutes les possibilités mais... la conclusion semble malheureusement évidente. Ce n’est pas que... Ce n’est pas que vous soyez enfermée dans de grands principes moraux ou religieux mais... forcément vous êtes déçue et choquée. Devant la fumée de votre tasse de thé, vous vous souvenez de toutes ces fois où vous avez craint que Jean-Jacques vous trompe au cours d’un déplacement ou... Mais il vous a toujours rassurée et vous lui avez toujours fait confiance. « Mais si ce n’avait pas été le cas, si j’avais un jour découvert que tout était faux... Ça aurait été terrible. » Vous ne pouvez pas vous empêcher de penser à la pauvre Valérie... elle aussi, à Montréal, doit avoir confiance. Ou alors quelque chose n’allait pas depuis plus longtemps. Vous l’avez eue au téléphone hier et... non ou, alors, vous n’avez rien compris.
« On peut ne plus aimer quelqu’un mais pas comme ça. Pas comme un voleur. Il faut... il faut dire les choses et avoir du courage. Le plus dur ce n’est pas la tromperie, c’est l’humiliation. » Vous vous imaginez seule, chez vous, apprenant par hasard que Jean-Jacques voit une autre femme... Votre première question serait de savoir pourquoi il ne vous l’a jamais dit en face. Pourquoi vous faire croire que tout va bien alors que... C’est de la lâcheté, c’est tout. Vous ne l’accepteriez pas s’il s’agissait d’un inconnu ou d’un ami... Là, il s’agit de Philippe. « Elle lui a fait confiance, elle l’a suivi jusqu’à là-bas... Pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi la traite-t-il comme ça ? C’est mon fils mais... ça fait encore plus mal. » Evidemment, comme à chaque fois que vous pensez à l’un de vos enfants, ce n’est pas l’image d’un adulte qui vous apparaît mais celle du petit garçon que vous avez connu. Celui qui s’amusait... Celui qui n’aurait jamais été capable de faire ça. Celui que vous grondiez quand il n’osait pas admettre qu’il avait fait une bêtise alors que, à l’époque, cela n’avait aucune importance. « Je me souviens quand il jouait avec son frère... Et quand il tirait la langue à la petite voisine parce qu’elle voulait se marier avec lui... Et puis... Maman ?... Quoi maman ? »
« Maman ? Maman ? Maman, réveille-toi. C’est moi, c’est Philippe ! »