« - Mais, madame Mignard, vous ne pouvez pas présenter les choses de cette manière !
- Ah bon ? Et pourquoi ?
- Vous ne pouvez pas dire que nous avons abandonné votre mère comme une clocharde.
- Alors expliquez-moi pourquoi personne ne s'est présenté chez elle de la journée pour, au moins, lui faire prendre son traitement.
- Mais parce que ce n'était pas le prévu dans le planning ! Le mardi, d'habitude, c'est vous qui vous en occupez.
- Oui eh bien, là, je n'ai pas pu. Ma fille a fait un malaise et j'ai dû aller m'occuper de son fils.
- Vous me l'avez déjà dit et j'en suis sincèrement désolée mais comprenez que nos aides-soignantes et nos auxiliaires de vie ont déjà des emplois du temps extrêmement serrés. Certaines ont à peine le temps de déjeuner et finissent à...
- Eh bien vous n'avez qu'à embaucher !
- Ce n'est pas si simple, madame Mignard. Nous sommes une association. Nous n'avons pas les moyens d'augmenter d'un seul coup notre personnel...
- Au prix de vos honoraires, tout de même.
- Pardon ? Mais consultez donc une maison de retraite ou une auxiliaire de vie à temps plein, vous verrez leurs tarifs !
- De toute façon, je sais bien que vous me faites payer près du double du tarif normal.
- Mais il n'y a pas de tarif normal ! Nous sommes une association d'aide au maintien des personnes âgées à domicile. Vous savez bien que nous établissons nos honoraires en fonction du niveau d'imposition des personnes qui font appel à nous. Tout l'argent sert au fonctionnement du groupe et pour payer le personnel selon des tarifs nationaux. Il n'y a pas de millionnaires chez nous.
- Peut-être mais je voulais simplement déplacer les deux heures du vendredi et les utiliser le mardi. Ça ne coûte rien, non ?
- Ce n'est pas une question d'argent, notre secrétaire vous a expliqué que nous n'avions pas de personnel disponible à ce moment-là.
- Elle n'avait surtout pas envie d'y réfléchir.
- Je sais que votre conversation a été un peu tendue... Mais elle m'a expliqué aussi que vous aviez raccroché en disant « je me débrouillerai ».
- Quoi ? Mais c'est faux ! J'ai dit « à vous de vous débrouiller ». Ça alors, quel toupet !
- Peut-être, madame Mignard, mais je vous jure que ce n'était vraiment pas possible. Vous savez à quel point je suis pointilleuse sur le bien-être des patients. Jamais je n'aurais laissé votre maman seule si j'avais pu faire autrement. Vous savez que, régulièrement, je me déplace moi-même pour épauler nos aides-soignantes.
- Tiens, c'est vrai, pourquoi n'êtes-vous pas venue vous-même ?
- Parce que j'étais en entretien avec un journaliste qui...
- À, bel exemple de dévouement ! Un journaliste veut votre photo et...
- Mais je ne vous permets pas ! Je fais la promotion de mon association. Pourquoi, d'après vous ? Pour monter des dossiers qui me permettent ensuite d'obtenir des subventions afin de baisser au maximum nos tarifs tout en gardant une rémunération digne du personnel. C'est ça, aujourd'hui, l'essentiel de mon travail de directrice. Et croyez bien qu'après avoir été infirmière pendant...
- Vous pourriez faire de la politique.
- Écoutez... Je déteste raccrocher la première mais cette conversation n'a plus aucun sens. Vous avez l'air de me reprocher beaucoup de choses à la fois alors, s'il vous plaît, nous ferons le point dès demain si vous le souhaitez, madame Mignard. Bonsoir.
- Comptez sur moi. Ça ne sera pas... »
Non, vraiment, vous n'auriez pas dû finir la journée sur cette conversation. Mais bon, avec tous ces décalages horaires, ce n'est pas facile de savoir qui appeler le soir. Et puis vous savez que vous n'avez rien à vous reprocher : madame Mignard a pour habitude de se montrer et d'une mauvaise foi totale à chaque fois qu’elle a un problème. Tout le monde le sait à l'association... Alors, pourquoi ces mauvais rêves ? Bon, décidément, c'est trop grand et trop vide ici. Habillez-vous vite et maquillez-vous avant de vous mettre à pleurer. Ce soir, vous prendrez un bon bain pour vous détendre.
D'ici là... Ah oui ! Colombe, la secrétaire de l'association, vous a proposé de la rejoindre ce matin à la boutique de mariage pour les essayages de sa robe. Pourquoi pas mais bon... Ce serait plutôt à sa mère de faire ça.
Sinon, vous pouvez aussi proposer à Marina de la rejoindre pour déjeuner avant qu’elle ne reprenne ses consultations. En général, entre deux séances, elle a toujours besoin de rigoler un peu pour évacuer les confidences de ses patients. Bon moment garanti.
Ah, il faudra aussi que vous trouviez un moment pour passer voir votre mère. Vous savez que Nora s'en occupe très bien mais bon... Son état est tellement aléatoire en ce moment. Ce matin ou cet après-midi ?
Vous allumez votre téléphone portable. Un message s'affiche. Mme Mignard ? « Bon anniversaire. Je pense tellement fort à toi. Bonne journée. J-J... Mon amour, même là-bas tu y as pensé... Tiens je vais te répondre ça. »
Vous tapotez maladroitement les touches du téléphone... Bon, il va vraiment falloir prendre une décision avant de fondre en larmes.
Alors ?
Vous vous préparez pour aller rejoindre Colombe.
Vous appelez Marina.
Vous passez voir votre mère ce matin.