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J'accepte la proposition de Diana

            « - Bon, et... Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On prend un dessert ?
- Euh, oui. Choisis ce que tu veux.
- Par contre, je paierai quand même ma part du repas. »

Ça alors... Celle-là, on ne vous l’avait jamais faite. Ça vous était déjà arrivé que certaines filles ne soient intéressées que par une seule chose mais... pas de manière aussi claire et directe. Et puis elles ne vous demandaient pas ça comme une manière de leur rendre service... « Bon, qu’est-ce que je prends moi pour finir ? Un truc rapide... Allez, deux boules vanille-chocolat et puis basta. » Diana vous sourit nerveusement et n’ose plus vraiment croiser votre regard. Quelle situation... Juste le jour où vous vous êtes promis de passer à autre chose. Quoi que, même un autre jour... Enfin, elle est quand même mignonne et sympathique, pour le reste... ça sera une autre fois.

« - Tu veux un café ?
- Euh, non merci.
- Tu as raison, on le prendra après.
- Après... ? Ah oui, après... »

Heureusement, elle ne semble pas non plus avoir envie de s’attarder à table. Elle demande l’addition, vous lui signifiez que vous êtes d’accord de partager en deux, vous payez et vous sortez sous les acclamations (involontaires) des supporters espagnols. Vous suivez Diana qui vous emmène jusqu’à un hôtel tout ce qu’il y a de plus banal. Vous étiez passé par là la semaine dernière... Vous aviez remarqué une dame, d’un certain âge, qui avait du mal à tenir debout juste devant la porte de cet hôtel. Vous vous étiez arrêté au cas où – elle semblait plus ou moins ivre – et vous l’aviez suivie du regard s’installer à une petite terrasse juste à côté de l’hôtel. Mais elle n’est pas là aujourd’hui, tant pis pour la bonne action... Diana vous attend à la porte. A la réception, elle attend qu’un homme récupère sa clé puis elle demande une chambre pour l’après-midi. Vous vous tenez en retrait, l’air absent, en espérant évidemment ne reconnaître personne. Quelle heure est-il ? Ce n’est pas la première fois que vous accompagnez une fille à l’hôtel mais, aujourd’hui, vous avez du mal à vous sentir... concerné. L’escalier, le couloir, la chambre. Elle ferme la porte et commence à vous embrasser. Dommage qu’elle ait fumé une cigarette sur le chemin...

Vous essayez de vous détendre. Vous regardez les murs, vous écoutez les bruits à la recherche d’un détail. Vous entendez le bruit de sa respiration et les klaxons des supporters... Vous essayez de penser au match, de laisser venir les choses. Ah, Diana semble assez pressée... « Moi aussi je préfèrerais que ça aille vite. » Ce n’est peut-être pas la meilleure manière de voir les choses... Vous la laissez faire, elle sait ce qu’elle veut et comment l’obtenir. Plus jeune, vous aviez des fantasmes sur les femmes plus expérimentées que vous... Il y a encore quelques années, vous étiez prêt à sauter sur tout ce qui se présentait. Vous... Les choses commencent à venir. Vous respirez et vous arrivez à vous concentrer sur elle. « Elle sait ce qu’elle veut, elle sait comment... » Vous vous laissez faire et elle ne demande pas mieux. Vous finissez de vous déshabiller et vous la rejoignez dans le lit. Elle vous encourage dans le creux de votre oreille. Elle sait ce qu’elle veut et elle sait comment... Alors pourquoi ça ne... Pourquoi faut-il rester autant concentré ? Si elle s’aperçoit de quelque chose, ça sera... trop tard.

La première fois, vous avez pu vous excuser. Elle a souri et elle a recommencé à vous exciter comme si de rien n’était. Et puis il y a eu une seconde fois. Elle a voulu insister mais de manière un peu plus... nerveuse. Vous avez repris les choses en main et vous l’avez guidée à votre manière. Vos sensations sont revenues et vous avez essayé de vous concentrer exclusivement sur vous-même. Votre plaisir avant le sien... Vous étiez persuadé de pouvoir y arriver – et, manifestement, elle aussi – mais, quand elle comprit que cela ne serait décidément pas possible, sa déception fut à la hauteur de ses... espoirs.

« - Excuse-moi mais...
- Oh, excuse-toi si tu veux mais ce n’était vraiment pas de ça dont j’avais besoin. Que tu ne me fasses pas jouir, passe encore mais que tu ne... Je suis quoi, moi ? C’est quoi qui cloche ?
- Non, c’est moi qui...
- Non, tu gardes ta consolation et tes... compliments de merde. Tu devais juste prendre ton pied, tu m’aurais souri et... puis c’était tout. Mais bon, il faut croire que j’ai plus qu’à me remettre à faire la bouffe.
- Est-ce que... »

Elle ne vous a pas interrompu mais, de toute façon, vous n’aviez rien à dire ni à proposer. A part « moi non plus, je n’avais pas besoin de ça » mais, bon, ce n’était pas le moment. Vous l’avez regardée se rhabiller, ramasser ses affaires, s’allumer nerveusement une cigarette et sortir sans un regard. Elle a tout fait pour que vous ne la voyiez pas pleurer. Vous restez seul dans le lit. La chambre est payée pour l’après-midi et vous aimeriez bien que l’on vous oublie un peu. Vous regardez le plafond. Votre téléphone sonne. Vous ne répondez pas. Vous écoutez les klaxons dans la rue. Vous aimeriez descendre discuter avec la dame qui titubait tout à l’heure à l’entrée de l’hôtel. Ah non, c’était la semaine dernière... Vous ressentez à nouveau le goût amer de ce matin dans votre bouche. Vous avez l’impression que cette journée pourrie commence pour la seconde fois. En plus, vous allez devoir reprendre une douche. La troisième de la journée... Espérons que le reflet du petit garçon ne vous aura pas poursuivi jusqu’ici. Vous fermez les yeux.

 

 

            Vous avez traîné dans la chambre d’hôtel pendant presque toute l’après-midi. Presque comme ce matin, vous avez ouvert les yeux, regardé le plafond, écouté les klaxons puis refermé les yeux. Combien de fois ? C’est le principe des jours sans fin de ne plus savoir où l’on en est. Vous vous êtes levé puis recouché. Vous vous êtes douché puis rallongé. Il n’y avait personne dans les miroirs. Puis vous avez recommencé... Vous n’auriez jamais imaginé pouvoir rester aussi longtemps seul, sans rien faire et dans le silence. Enfin, si on oublie les klaxons... Comment fait-on pour ne penser à rien ? « Ben voilà... »

Luigi a essayé de vous joindre plusieurs fois dans l’après-midi mais vous n’avez même pas envie d’écouter ses messages. « Ça m’obligerait à réfléchir... De toute façon, la seule chose qui le préoccupe c’est de savoir si je ne serai pas en retard devant le stade. Eh oui, comme c’est lui qui a les places, il serait obligé de m’attendre et il risquerait de rater l’échauffement. » Vous éteignez votre téléphone. « Allez, il y a bien un moment où tu comprendras que j’en rien à f... de ton football de m... » En fait, depuis longtemps, ce sont les supporters qui vous ont écœuré du foot. Assister à un match de tennis, à un triathlon... ou même croiser un match de football départemental – ça oui – ça vaut le coup. Mais entrer dans ces ambiances de cathédrale pour regarder des multimillionnaires en short se tordre la cheville en se roulant parterre... Quel rapport avec le sport ? « Alors, en plus, ce soir la c... sera internationale. » Vous ouvrez le tiroir de la table de chevet et vous trouvez la télécommande de la petite télévision.

Votre anesthésie du cerveau a fait effet jusqu’en début de soirée. Après, il a fallu sortir parce que vous recommenciez à vous poser des questions sur votre avenir. Vous avez traversé le quartier comme une ombre au milieu des embouteillages, des drapeaux et des klaxons en furie. Vous méprisez tout sur votre passage : les femmes, le foot, les drapeaux, la ville... et vous n’avez pas non plus une très haute opinion de vous-mêmes. Bref, tout est médiocre et vous êtes dans votre élément. « Eux, au moins, ils arrivent à s’enflammer pour des c... Ils ont une vie de m... mais ils bouffent des frites, ils boivent de la bière et ils sont heureux jusqu’au prochain match. » Un instant, vous avez eu peur d’avoir oublié votre téléphone à l’hôtel. Non, il est simplement éteint dans votre poche. Il aura fallu cela pour que vous ayez un semblant d’émotion sur votre route. Vous arrivez chez vous, vous refermez la porte et vous vous affalez sur le canapé. En chemin, vous avez fait un étrange effort : vous avez acheté le journal, le seul qui ne faisait pas sa une sur le match de ce soir. « Eh oui, bande de c..., la Terre continue de tourner. » Histoire de vous intéresser à quelque chose d’un peu plus... élevé que les autres. Il est là, devant vous, sur la table basse... mais la première page semble bien lourde à soulever. « Fermer les yeux. Dormir... »

Ne rêvez pas trop, le sommeil ne viendra pas aussi vite. Ça serait trop simple. Vous n’avez pas le choix, vous allez devoir faire le bilan de votre journée et, probablement, d’un peu plus encore... En fait, votre situation semble simple, vous êtes probablement dans l’état qui pousse certaines personnes vers l’alcool, d’autres vers la drogue, d’autres dans la dépression, d’autres vers le foot... Choisissez votre camp. Votre vie est comme un nœud... Ça vous rappelle un article que vous aviez lu sur la déprime post-carrière des sportifs professionnels. Un nœud, c’est-à-dire que, quel que soit le bout sur lequel vous tirez, vous vous étranglez de plus en plus. Un nœud mouillé, presque impossible à défaire. On a juste envie de... ne plus parler, ne plus voir les autres, ne plus réfléchir... Pleurer ? Non, même pas. Comme pour la plupart des sportifs, vous pensiez avoir raison, aller au bout de vous-même et, finalement, vous êtes obligé de reconnaître que vous n’êtes arrivé à rien. A rien de valable. Même les plus grands champions sont guettés un jour par ça alors, vous, c’est dire si... « Et Cadel Hopkins ? Lui, il va s’en sortir. Il ne peut pas s’effondrer comme... Comment s’y prendra-t-il pour... ? Ah, oui, il compte sur sa femme pour l’aider à comprendre qu’il n’est plus au centre de tout. Sa femme... Je n’avais donc pas complètement tort ce matin mais bon... Un autre échec... Cadel Hopkins... »

Vous vous laissez aller à quelque chose qui ressemble au sommeil. Cadel Hopkins court, nage, pédale... un petit garçon le regarde... Il voit une fille mais elle ne le regarde pas. Elle regarde... Cadel Hopkins. Vous entendez frapper au loin. Et puis il y a Luigi... des footballeurs... Vous êtes au milieu de la rue et des klaxons... Vous entendez des coups. Vous cherchez et...  Vous ouvrez doucement les yeux. « Quelle heure est-il ? Ah, le match va bientôt commencer. Allez les bleus... ou les rouges. P... mais on frappe à la porte ! » Vous vous levez brutalement et vous entendez effectivement quelqu’un s’énerver sur votre porte. Vous traversez le salon et vous regardez à travers le judas. Qui est là ? Un type... essoufflé, avec le visage tout bariolé de bleu-blanc-rouge... Un supporter ! Un supporter qui vous regarde fixement à travers l’œil de verre !

« - Luigi ? Mais qu’est-ce que tu fous ici ?
- Ah tu es là... Ouvre-moi vite, on est à la bourre !
- Mais j’en ai rien à...
- Ecoute, me laisse pas déguisé comme ça dans ton couloir ou les voisins vont appeler les flics. Ouvre, s’il te plait ! Tout est bloqué, j’ai dû venir à pieds jusqu’ici... Ouvre, en plus, j’ai une de ces envies de...
- Ça va, arrête de gueuler... »

Contrairement à vos derniers projets pour ce soir, vous déverrouillez la porte. Luigi vous regarde à peine et se précipite vers les toilettes. « Ah, ça fait du bien... P..., à cause de toi, ça m’étonnerait qu’on puisse attraper la fin de la première mi-temps. » Vous ne savez pas quoi lui répondre et vous vous demandez vaguement s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise surprise... Moins de quinze minutes plus tard, vous fermez votre porte et vous le suivez dans l’ascenseur en direction du rez-de-chaussée, de la rue... et du stade.

 

 

            Que s’est-il passé en l’espace d’une quinzaine de minutes ?

« - Bon... Je suppose que ton rencard de midi s’est mal passé, c’est ça ? Ça t’a vexé et, depuis, t’en veux à la Terre entière en te demandant pourquoi les gens ne veulent pas devenir comme toi...
- Pourquoi t’es pas au stade ?
- D’après toi ? Parce que tu ne réponds pas au téléphone, parce que je t’ai attendu sans savoir où tu étais... Parce que j’ai trouvé ça bizarre, puis j’ai trouvé ça énervant et, d’un seul coup, j’ai trouvé ça très inquiétant... Franchement, tu m’imagines seul en train de gueuler dans le stade sans me demander ce qui t’est arrivé ?
- Désolé... T’as l’air étonnamment calme pour un fanatique qui a payé deux places et qui va louper la première mi-temps.
- Ne te fais pas d’illusion, j’ai une grosse envie de t’en coller une. Mais bon, le fait d’avoir couru du stade jusqu’ici m’a laissé le temps de réfléchir et, en plus, t’es bien plus costaud que moi. Donc, maintenant que je sais que tu vas bien – et tant qu’à rater le match – on va faire quelque chose d’utile : on va discuter. Et tant mieux si ça t’em... Tu veux me parler de ton rendez-vous de midi ?
- Non.
- C’était une fille superbe, intelligente, tu voulais l’épouser et elle a brisé ton cœur ?
- Non, pas du tout.
- Ah, alors elle était pleine de fric ?
- Je ne crois pas.
- Donc, pas de regrets ?
- Pas de regrets.
- OK... Ah, je sais : tu es dégoûté parce que tu as rencontré la fille sur ton site de rencontres pourri et que, comme d’hab, la photo n’avait rien à voir avec la réalité, c’est ça ?
- C’est un peu ça mais... c’est surtout moi qui ne correspondais pas à la photo.
- Oui, peut-être que tu devrais mettre la mienne, ça augmenterait tes chances... Ecoute, je pense que tu as eu une tuile et que tu te sens momentanément très seul et...
- Et heureusement que tu es là ?
- Pourquoi ? Parce que tu t’imagines encore être à la hauteur de tout ? Combien de râteaux tu t’es pris depuis qu’on se connaît ? A chaque fois, la seule chose que t’as trouvée à faire c’est de courir et de soulever des haltères. Remarque, ça marche, tu as l’air en pleine forme.
- Et toi, tu proposes quoi ? D’inviter les premiers venus à bouffer et à dormir chez moi ?
- Si ça te fait plaisir, pourquoi pas ? De toute façon, on attend tous quelque chose des autres, non ?
- Les autres sont des c...
- Exactement et tu vas lever ton c... pour venir gueuler en chœur avec eux et avec tous les blaireaux de la ville. On en a même fait venir d’Espagne exprès pour toi ! Allez, viens, y a plus que deux sièges de vide dans le stade. On va être les seuls à arriver à la mi-temps, on va être des stars.
- Je ne veux pas y aller.
- Bon, alors fais-le pour moi. Tu n’es qu’une m..., d’accord mais, moi, est-ce que j’ai fait quelque chose pour mériter ça ? Moi je regarderai le terrain et, toi, tu regarderas la foule. Tu essaieras d’identifier chaque individu comme un être humain : quelqu’un qui a une histoire, des joies, des peines et des doutes aussi importants que les tiens. Tu verras, quel que soit le score, ça sera une belle leçon d’humanité. »

En disant cela, Luigi vous regardait fixement à travers les croûtes luisantes de son maquillage bleu-blanc-rouge... malgré votre cafard, vous n’avez pas pu vous empêcher de lui rire au nez. Luigi n’avait peut-être pas fini son raisonnement philosophique mais il sembla soulagé que vous vous moquiez de lui. Il commença à vous menacer avec ses crayons de supporter et, finalement, vous avez accepté de l’accompagner.
« - Merci, vraiment, tu ne sais pas à quel point ça me fait plaisir.
- C’est toi qui viens me ramasser à la petite cuillère et c’est toi qui me remercie ? Tu peux quand même m’insulter un peu, non ?
- Oui, je verrai ça plus tard. De toute façon, on aura des choses à se dire, mon horoscope m’a prédit une journée vraiment exceptionnelle.
- Ah et j’ai failli la gâcher ?
- Presque mais, tu vas voir, on va tous les n... quand même. Par contre, je passe vite dans ta salle de bain... J’ai du maquillage plein les yeux.
- Ça doit être la transpiration... Essaie de ne pas me repeindre le lavabo. »

Vous n’avez plus qu’à reprendre votre veste et vous êtes prêt. Vous avez un peu faim mais vous achèterez un sandwich en route (vous avez envie de quelque chose de... gras). Luigi semble bien décidé à vous faire oublier vos problème alors... pourquoi pas ? « C’est quand même une belle manière d’avoir de la chance... » Vous dépliez votre journal en l’attendant. Première page : les réformes économiques, la guerre en Asie, la misère en Afrique... « Bon, pas besoin de ça ce soir... » Dernière page : les mots croisés, les petites annonces et l’horoscope. « Mots croisés, pas le temps... Petites annonces, pas envie... L’horoscope... » Luigi sort de la salle de bain, il est pressé de partir... D’après vous, qu’y a-t-il de plus stupide ? Supporter une équipe de foot ou chercher son destin du jour dans les étoiles ? Allez... détendez-vous et, n’oubliez pas, vous êtes Poissons.