Je refuse la proposition de Diana
« - Trop vieille, c’est ça ?
- Non... C’est peut-être moi qui suis un peu trop vieux.
- Ah... Bon, excuse-moi, mais je dois absolument aller fumer une clope. Je me dépêche et je te rejoins pour le dessert. »
Elle prend son sac et vous laisse seul à table. Au bout de dix minutes (peut-être un peu moins), vous comprenez qu’il vaudrait mieux commander votre dessert tout seul et payer l’addition. Quelque chose de pas trop lourd... un sorbet. Framboise et citron avec un biscuit. Pas de chantilly... Le serveur semble sourire en débarrassant les couverts de Diana. Vous avez l’impression qu’il se moque de vous. « Il aurait bien raison. A moins qu’il n’accepte de faire abstraction de sa première impression... » Décidément, aujourd’hui, vous vous sentez... seul.
« C’était bien la peine de psychoter toute la matinée sur le sens de la vie et de l’amour... Encore faut-il trouver la bonne ou quelqu’un susceptible de lui ressembler... Si, au moins, les Espagnols pouvaient fermer leur... » Tout à vos pensées, vous goûtez doucement l’acidité froide de votre sorbet... Et puis vous décidez finalement de ne pas vous attarder plus longtemps. Vous avalez votre biscuit et vous demandez l’addition. Mais pourquoi se presser ? Vous êtes seul ici, vous serez seul dans la rue et vous serez seul chez vous. Et ce soir ? Vous serez seul au milieu de la foule. Avec Luigi...
« Lui, il n’aime pas être seul mais il s’accommode de n’importe qui. Il a toujours été comme ça. » Vous vous souvenez encore de l’époque où vous l’aviez rencontré, au lycée. Il vous avait invité chez lui sans même vous connaître... En fait, il invitait n’importe qui. Tous les week-ends, c’était un véritable défilé : chez lui, sur sa console, dans son frigo et, en été, dans sa piscine. Il y avait du monde et il y avait des filles alors ce n’était pas difficile d’en profiter. Pas difficile bien qu’un peu gênant. Pourquoi ? Gringalet comme il l’était – et malgré toutes ses « largesses » – Luigi n’était pas quelqu’un de très populaire... On allait chez lui sans forcément lui adresser la parole et certains ne se privaient pas de le surnommer « l’abruti » tout en se prélassant sur ses transats. Au milieu de tout ça, Luigi semblait planer dans son petit monde. Toujours heureux et accueillant. Il aimait discuter mais il pouvait aussi bien rester tout seul parmi les autres (cela arrivait régulièrement mais bien peu semblaient le remarquer). Puis le lycée est passé, les pique-assiettes sont partis mais ont été rapidement remplacés par d’autres. Au fil des années, vous êtes le seul (ou un des seuls) à être resté. C’était toujours pratique de pouvoir inviter des filles à bronzer chez lui... Et puis, à force d’être gêné, vous avez fini par mieux le connaître et par vous habituer à sa personnalité. « C’est peut-être ça, l’amitié. » Vous sortez du restaurant.
Mais pourquoi pensez-vous à lui juste maintenant ? « Ça doit être le fait de penser au foot. » Et pourquoi pensez-vous au foot ? « A cause de ces p... de klaxons qui n’arrêtent pas de gueuler dans les rues. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec ce sport de débiles ? Ils vont brailler toute la journée pour finalement se regrouper à encourager vingt-deux c... qui vont pousser la baballe sur le gazon. » Non, le football n’a jamais été votre sport préféré. « Mais regardez-moi ça ! Boire de la bière et bouffer des merguez au nom du sport. Gros porc, regarde ton bide avant d’aller jouer au connaisseur dans les tribunes. On croit rêver... Et dire que, à la fin, il y en a la moitié qui vont chialer leur mère et l’autre moitié qui ne sentira même plus p... Sans oublier les flics autour parce que, en plus, ils seraient foutus de se mettre sur la g... entre deux buts. On est les champions ! On est les champions ? Mais regarde-toi, pauvre c... Mais oui, même en français tu peux me comprendre. Et dire que je vais les rejoindre tout à l’heure... »
Vous ne pensez plus du tout à Diana et, pourtant, vous êtes totalement hors de vous en arrivant dans votre appartement. Quelle heure est-il ? Combien de temps avant ce match ? Vous n’avez qu’une envie : brûler votre billet pour ce soir (ou le vendre sur Internet puisque certains en achètent à cinq fois leur prix). Sauf que c’est Luigi qui a gardé les places... ce qui est normal puisque c’est lui qui les a achetées. D’ailleurs vous ne l’avez pas encore remboursé pour la vôtre... quoi que, d’habitude, il ne vous réclame jamais l’argent que vous lui devez (grâce à son père, il n’a jamais eu besoin de l’argent des autres). N’empêche que... « Et pourquoi est-ce qu’il n’a pas proposé à Vinz de l’accompagner ? Le foot, c’est son truc à lui... Tiens, ils sont peut-être encore ensemble au kart-club. » Vous attrapez aussitôt votre téléphone et vous appelez le portable de Luigi... Sonneries, messagerie. « Oui Luigi, c’est moi... Est-ce que tu as pensé à proposer à Vinz de t’accompagner pour le match de ce soir ? Parce que, pour moi, le foot tu sais que c’est moyen et, en plus, je suis pas sûr d’avoir envie de sortir ce soir. Voilà, tiens-moi au courant. A plus. »
Pendant une bonne vingtaine de minutes, vous tournez en rond dans votre salon en vous efforçant de ne penser ni au foot ni aux femmes (pas facile). Vous allumez votre ordinateur pour aller visiter vos sites favoris consacrés à des sports plus... sportifs et vous réfléchissez au petit message que vous pourriez laisser à « Diana 42 » pour la remercier de vous avoir pris pour un imbécile. Quoi que... Ah, votre téléphone sonne. Luigi vous rappelle.
« - Oui c’est moi. C’est quoi ce délire ?
- T’as parlé à Vinz ?
- Mais non, il a déjà quelque chose de prévu et, en plus, j’ai pas envie. Il me fait la t... justement depuis qu’il s’est que je t’ai proposé de venir à toi plutôt qu’à lui.
- Ben justement, dis-lui que j’ai changé d’avis.
- Non, qu’est-ce qui t’arrive ? T’as prévu d’enchaîner une soirée avec ta nouvelle copine de midi ?
- Non, rassure-toi... C’est juste que j’ai une folle envie de me faire c... tout seul chez moi pendant que les abrutis de France (et de Navarre) seront réunis en congrès. C’est tout.
- D’accord, ton rencard de midi s’est très mal passé. T’es chez toi ? J’arrive.
- Non, s’il te plaît, j’ai pas besoin de te voir ni de...
- Eh bien t’auras qu’à pas m’ouvrir ta porte ! A toute. »