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Je réponds à l'invitation de Diana

            « OK pour ce midi. Je ne connais pas ce resto et... je ne te connais pas non plus. Ce sera la journée des bonnes surprises. Va pour 12h30. J’aurai une veste bleue et, en plus, la même tête que sur ma photo. A tout à l’heure. » Normalement, pour ce type de rencontre, la photo sur le site doit suffire à se reconnaître mais bon... un deuxième détail est parfois nécessaire.
« Salut Luigi. Je passe déjà ma soirée avec toi, ça ne te suffit pas ? Désolé pour midi mais j’ai un autre petit projet en tête. Ceci dit, selon ce qu’il y aura au menu, il n’est pas exclu que je te rejoigne au kart en début d’après-midi. Bises et à toute... Voilà. Ça, c’est fait. A nous deux maintenant. »

Il est un peu plus de 8 heures. Vous déambulez en pyjama dans votre appartement. « Il faudra quand même que je me rase avant d’y aller... » Au cas où une envie d’exercices vous prenne ce matin, vous installez vos haltères et votre tapis de sol devant la télévision. Vous allumez la télé et vous mettez une chaîne d’informations sportives (celle qui tourne en boucle avec quelques reportages et les derniers résultats) et, pour commencer, vous vous affalez dans le canapé.

Vous regardez vos haltères. « De toute façon, il vaut mieux ne pas trop pousser histoire de ne pas avoir à se re-doucher. » Vous regardez votre télévision. « Avec un peu de chance, il devrait y avoir du basket américain... Au moins les résultats de cette nuit. » Vous regardez en l’air. « Et si j’en profitais pour me rendormir un petit peu ? » Vous fermez les yeux. « Diana 42... Je n’aime pas les pseudos avec des chiffres. Ça fait... numéro d’immatriculation. Enfin bon, c’est vrai que sa page est intéressante. Et c’est toujours sympa de découvrir une nouvelle personne. On verra bien après. »

Vous rouvrez les yeux. « Et si, cette fois, je décidais que ça allait marcher. Y aller avec l’idée que c’est la bonne personne. La rencontrer en étant prêt à construire, à écouter, à... faire abstraction de la première impression. Accepter éventuellement d’être peut-être déçu mais ne pas lâcher l’affaire. Si la personne se sent ainsi valorisée, ça peut l’inciter aussi à rechercher quelque chose de plus que de la compagnie ou du... Je pourrais essayer avec Diana. Prendre quelques risques. » Vous regardez vos haltères. « J’aurais dû prendre les plus petites. Il ne faut pas que je réveille ma tendinite au bras droit. Ça serait gênant pour mardi soir. » Vous regardez la télévision. « Décidément, ils ne pourraient pas parler d’autre chose que de France-Espagne ? On va déjà en bouffer toute la soirée et au moins demain matin... Il n’y a rien de plus crétin que de parler pendant des heures d’un match qui n’a même pas été joué. » Vous regardez en l’air. « En fait, dans la vie, c’est comme avec la télé. J’attends que quelque chose me plaise sinon je zappe. La télé, c’est fait pour attendre. On ne fabrique rien. On voit tout et on ne se souvient de rien. » Vous fermez les yeux. « Diana 42... Je la voir passer comme les autres. On va se regarder dans les yeux et puis... Se rencontrer, c’est se regarder dans les yeux. L’amour, c’est regarder ensemble dans la même direction... C’est qui déjà qui a écrit ça ? Le tout, c’est d’avoir envie de regarder en même temps au même endroit. »

Vous rouvrez les yeux. « Pour regarder une personne dans les yeux, il faut la trouver belle. Pour regarder dans la même direction, il faut avoir quelque chose à proposer... Une passion commune, ça ne suffit pas. Qu’est-ce que j’ai à proposer ? Qu’est-ce que je pourrais lui proposer tout à l’heure ?... Déjà, je pourrais lui montrer que je suis prêt à la regarder dans les yeux. Ensuite, on verra... » Vous regardez vos haltères. « Je ferai quand même quelques séries d’abdos avant de me préparer. » Vous regardez la télévision. « Mais qu’est-ce qu’on en a à f... de la tête du sélectionneur ? » Vous regardez en l’air. « Une relation durable, ça passe par une gestion de l’effort prolongé. Comme un match de tennis en cinq sets. Comme un triathlon. Faut toujours être indulgent avec soi-même et savoir qu’on va commettre des erreurs. Mais on a le temps de revenir... Il faut être prêt mentalement, s’accorder des respirations et ne jamais perdre de vue son objectif. » Un signal retentit depuis votre ordinateur pour annoncer la réponse de Luigi. Vous fermez les yeux. « Cadel Hopkins, huit fois champion du monde... »

Vous rouvrez les yeux. « Bon, je les commence ces abdos ? »

 

Vers 11h30, vous retournez prendre une douche. Votre corps est fatigué mais vous sentez que votre esprit est lucide. Propre. C’est l’état dans lequel on se trouve avant le dernier set ou avant la course à pied du triathlon. On est prêt pour la manche décisive, celle dans laquelle ce n’est plus vraiment le corps qui commande. Vous vous rasez. Vous vous habillez. Votre prenez votre veste bleue – un peu chaude pour la saison mais vous l’avez mentionnée dans votre message – et vos lunettes de soleil. Il a l’air de faire beau à travers la fenêtre.

Vous regardez une dernière fois votre ordinateur. Réponse de Luigi : « Message reçu. La prochaine fois, je me raserai les jambes et je mettrai des talons avant de t’inviter. Ne t’épuise pas trop et à ce soir. » Vous repérez l’adresse du restaurant sur un plan... Vous éteignez tout et vous quittez votre appartement. Vous longez les trottoirs et vous constatez que, comme prévu, la circulation est déjà plus dense que d’habitude. Beaucoup de voitures. Des coups de klaxons. Quelques cris en espagnol. Des drapeaux accrochés aux vitres. Vous, vous n’aimez pas être trop démonstratif au contraire de Luigi qui, lui, arrivera sûrement bariolé en bleu-blanc-rouge devant les grilles du stade. Et puis le football n’est pas vraiment votre sport préféré... Vous apercevez le restaurant. Vous traversez, vous rajustez votre veste et vos lunettes avant d’entrer.

 

« - Bonjour, monsieur.
- J’attends quelqu’un. Je pense qu’elle a réservé.
- Très bien, vous pouvez vous installer au bar en attendant à moins que...
- Non merci, ça ira. »

 

               Vous prenez un tabouret au comptoir (ce n’est pas prudent d’occuper une table avant d’être sûr que la personne vienne). Vous commandez un panaché et vous attendez en jetant quelques coups d’œil dans le miroir. Vous n’avez pas envie de regarder l’heure. Ça ne serait pas une bonne manière de commencer le rendez-vous. Vous jetez un coup d’œil sur le journal de votre voisin de comptoir... « Si vous attendez quelqu’un, je crois que je suis arrivée. »

Vous vous retournez vers la jeune femme. Une jolie brune aux yeux noirs. Les cheveux bouclés. Le teint mat mais... manifestement plus âgée que ne le laissaient entendre la photo et le profil qui indiquait une « nouvelle trentenaire ». Les traits un peu creusés par... le stress et, sans doute, la cigarette.

Vous vous montrez souriant et vous l’accompagnez jusqu’à la table qu’elle avait effectivement réservée. Vous faites, comme prévu, abstraction de la première impression et vous la laissez entamer la conversation classique.

« - Alors, parlez-moi de vous. Enfin, de toi. Qu’est-ce que tu fais dans la vie qui n’apparaît pas sur ton profil ?
- En fait, mon profil est assez complet. Je pratique beaucoup de sports. Je travaille dans le sport. J’aime parler de sport et j’adore écouter les gens qui parlent d’autres choses... A force d’écouter, je peux même parfois avoir des réponses surprenantes, bien au-dessus de mon niveau habituel.
- Pourtant, tu n’as pas l’air idiot du tout. Modeste, peut-être ?
- Ça dépend dans quel domaine.
- Allez, on commande et on discute de tout ça ?
- Bien sûr. »

Au moment où vous appelez le serveur, un groupe de supporters espagnols entre dans le restaurant et s’installe à une longue table à côté de la porte. Au total, la conversation avec Diana est loin d’être désagréable. Malgré une certaine gêne de votre part, vous n’avez aucun mal à vous regarder dans les yeux. Mais... vous ne pouvez quand même pas vous empêcher de penser à... d’autres choses. Et, sur ces sujets, quelques questions précises vous traversent l’esprit.

« - Et est-ce que tu as des enfants ?
- Euh... oui. J’ai deux garçons.
- Tu as déjà été mariée ?
- Oui, ça a bien marché pendant... quelques années et puis ça n’a plus été possible. Et toi ?
- Non, je n’ai jamais vraiment réussi à... stabiliser les choses dans ma vie. Et je n’ai pas encore d’enfant.
- Si tu dis « pas encore », c’est que tu y penses.
- Je pense à beaucoup de choses mais je ne sais pas trop par où commencer. Est-ce que je dois attendre quelqu’un ? Est-ce que je dois chercher une femme en particulier ou est-ce que le problème vient de moi ?... En fait, Diana, c’est quoi l’amour ? »

Elle éclate d’un rire très spontané qui couvre presque le vacarme des supporters espagnols. La conversation se poursuit de manière plus détendue : il semble clair, pour l’un comme pour l’autre, que ce rendez-vous ne débouchera sur rien de sérieux. Elle vous raconte alors tranquillement comment elle a connu son mari et comment elle a décidé, petit à petit, qu’elle tenterait « la grande aventure » avec lui... La sensation qu’elle avait besoin de lui et qu’il avait besoin d’elle. Elle n’avait jamais été persuadée qu’il serait l’homme de toute sa vie mais, à cette époque, elle avait effectivement pensé que c’était le moment pour elle de changer et de construire quelque chose, quitte à avoir des doutes et à se tromper. Dans son récit, une expression vous saute aux oreilles : « la peur de laisser passer sa chance ». Cela rejoint une idée que vous avez depuis longtemps comme quoi la peur est décidément, d’une manière ou d’une autre, le moteur de toutes nos actions et de tous nos choix... On ne s’en débarrasse finalement jamais. Tout se passe plutôt bien à votre table quand, au moment du dessert, Diana semble brutalement devenir plus... sérieuse.

« - Tu as quelque chose de prévu cette après-midi ?
- Pas vraiment. Mais je peux toujours aller rejoindre les Espagnols et commencer à parler du match avec eux.
- Tu pourrais aussi m’accompagner un peu...
- Diana, si tu veux que je comprenne ce que tu veux, il faudrait que je sache un peu mieux qui tu es... puisque ton profil ne dit pas tout.
- D’accord... Je vais essayer d’être claire et précise. D’abord, mon prénom n’est pas Diana mais Nadia – un détail – et pour le 42 je te laisse deviner de quoi il s’agissait quand j’ai ouvert mon profil... Je suis une mère seule avec deux garçons déjà assez grands, débordée par le boulot, le ménage, la bouffe et le rangement. Je n’ai pas le temps de m’occuper de... beaucoup de choses et peut-être pas l’envie de recommencer certaines autres choses... Je suis souvent fatiguée et puis, parfois, le dimanche, j’ai du mal à me sentir belle alors, très concrètement, je me demande si... un beau mec comme toi accepterait de m’accompagner discrètement dans une chambre d’hôtel et de s’occuper de moi pendant une petite heure. C’est tout... Je paie le repas, la chambre et puis voilà... Je ne te propose pas d’argent mais je veux juste qu’il n’y ait aucune contrainte pour toi. Tu acceptes parce que tu en as envie ou alors... pour me rendre service. Réfléchis vite, s’il te plaît. »

Elle vous regarde, presqu’en larmes. Sa main tremble comme si elle avait besoin d’une cigarette. Des rides semblent apparaître tout autour de ses yeux tandis que les supporters gueulent de plus en plus fort et cognent leurs verres sur la table. La rapidité de cette proposition vous prend évidemment de cours et, dans l’espace d’une seconde, vous n’avez aucune idée quant à la bonne manière de réagir. « Se regarder dans les yeux. Regarder ensemble dans... »

« Réponds-moi, s’il te plait. »

A vous la parole...

 

Vous acceptez la proposition de Diana.

Vous préférez refuser.