Je reste seul
« Désolé Diana. Aujourd’hui, il y a un petit garçon qui compte sur moi pour que je m’occupe de lui. J’espère que tu comprends. Bonne journée. Envoyer... Alors, Luigi... Ah, déjà ? »
« Aucun problème. On n’est plus des gamins. Moi aussi, quand je m’ennuie, je m’occupe un peu de mes enfants... A plus... De mes enfants... Ah bon ? »
« Salut Luigi. Je passe déjà ma soirée avec toi, ça ne te suffit pas ? Je vais rester un peu à la maison pour remettre quelques petites choses en ordre. En plus, pour le kart, tu m’as dit que ça roulerait mal en ville aujourd’hui. Bises et à toute... Voilà. Ça aussi, c’est fait. A nous deux maintenant. » Vous retournez devant le miroir de votre salle de bain mais le petit garçon n’est plus là. Il n’y a plus que vous. « Je ne te vois pas mais je sais que tu m’écoutes. Il faut qu’on parle tous les deux. » Vous êtes seul chez vous alors vous pouvez faire autant de grimaces et de mimiques que vous voulez... Et ça fait parfois du bien de ne pas se sentir en représentation ?
« Comment t’expliquer... Je sais de quoi tu as souffert, je ne l’ai jamais oublié et j’ai essayé de régler les problèmes les uns après les autres... Je suis même allé plus loin, non ? Plus personne ne t’a jamais regardé comme... comme quelqu’un qui n’existait pas. Alors, c’est vrai que, maintenant, il y a peut-être de nouveaux défis à relever mais cela ne doit pas remettre en cause tout le reste... C’est pour toi que j’ai fait tout ça. » Vous êtes seul, il n’y a aucune raison de vous sentir gêné... Parler tout seul, c’est normal... puisque vous êtes seul. Dans le salon, une petite sonnerie retentit pour vous prévenir de la réponse de Luigi mais vous restez fixé devant le miroir. « Qu’est-ce qu’il te faudrait ? Qu’il y ait une femme et des enfants ici ? Pourquoi pas ? Je me sens prêt pour ça... mais ça ne suffit pas pour attirer la première venue, non ? Allez, amuse-toi bien. »
Sincèrement, à quoi ressemblerait votre vie si vous aviez pu « construire quelque chose » avec l’une de vos conquêtes ? Vous auriez peur... Vous n’auriez plus le temps... Vous devriez vivre au travers de quelqu’un d’autre. Y a-t-il de la place pour quelqu’un d’autre ici ? chez vous ? devant ce miroir ?
Deux de vos amis se sont mariés et ils ont fondé une famille. Les deux se sont séparés après la naissance du premier enfant. Maintenant, quand vous les croisez, ils ont tout le temps l’air de courir après quelque chose. Ils n’ont plus le temps. Ils sont « débordés ». Mais ils vous disent qu’ils sont bien comme ça, qu’ils ne regrettent rien. Les ex-femmes sont restées de bonnes copines et les enfants leur donnent... une raison d’être occupés, injoignables une semaine ou un week-end sur deux. Ils ont peur... Pourquoi pensez-vous qu’ils ont peur ? « Parce qu’ils ont peur de la même manière que toi. Ils ont peur qu’on leur retire leur masque. C’est quelque chose que tu peux comprendre, non ? » Ah, pas mal comme réponse... Etonnant, ce petit garçon.
« Oui, j’ai peur de ce que l’on pense de moi mais ça ne fait pas de moi un imbécile ou un attardé. Tout le monde à peur de ça, à tous les âges, dans tous les métiers sinon les gens se baladeraient à poil, ne se laveraient pas et ne perdraient pas leur temps à se coiffer, à se raser ou à faire les soldes... A quoi ressemblerait vraiment une personne qui dirait : « Je n’ai jamais accordé aucune importance à ce que les autres pensent de moi » ? D’une manière ou d’une autre, ça serait forcément hypocrite. Ça n’existe pas. » Silence autour du lavabo et puis la réponse... « Chaque jour, il y a ceux qui s’habillent pour qu’on les remarque et ceux qui font l’effort de passer inaperçus. »
Hou la... ça se complique. Bon, puisqu’il est question de vêtements, ce n’est peut-être plus l’heure de rester en pyjama. Après tout, le dimanche, on réfléchit aussi bien en se promenant dans la rue qu’en se prenant la tête face à soi-même. Au milieu des autres, tranquillement, sans but particulier. Alors s’habiller... Vous passez dans votre chambre, vous jetez l’édredon par-dessus les draps froissés et vous ouvrez votre armoire. « Je veux qu’on me remarque... Je veux passer inaperçu... » C’est vrai que les deux options demandent un certain effort.
« En fait, je ne veux pas qu’on me remarque... mais, si quelqu’un me regarde, je n’ai pas envie de choquer ou d’intriguer son regard... Je dois donc m’habiller pas trop mal mais trop bien non plus... Comme d’habitude. » En effet, vous avez toujours fait en sorte d’être à la mode sans que l’on puisse vous reprocher d’être une fashion victim. Vous en connaissez quelques-unes autour de vous et, justement, vous n’avez jamais eu envie de leur ressembler. Non, ce n’est pas de cette manière que vous souhaitez attirer l’attention. « Le problème n’est donc pas là. » Vous vous habillez le plus habituellement du monde pour un dimanche de détente. Vous prenez votre veste de saison, votre portefeuille et votre téléphone. Vous laissez vos lunettes de soleil sur la table et vous quittez votre appartement. « Passer inaperçu... Oui, comme d’habitude. Ce n’est pas forcément question de masque ou de quoi que ce soit d’autre... »
Vous remontez la rue au milieu des gens aussi discrets et anonymes que vous. Au gré d’une envie subite, vous poussez la porte d’un disquaire. D’habitude, vous achetez vos disques et vos DVD sur Internet mais bon, aujourd’hui, vous avez le temps (et le besoin) de vous déplacer. « J’ai des goûts musicaux. Je sais ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Je ne cherche pas forcément l’avis des autres pour exister. »
Les fashion victims culturelles, ça existe aussi. Vous en avez connu quelques-unes de manière très... intime. Il y avait comme une répartition des rôles entre vous mais ça n’a pas duré très longtemps. « Quand on est chacun enfermé dans son monde, il n’y rapidement plus grand-chose à se dire... Certains couples durent pourtant de cette manière. » Vous déambulez au milieu des clients au regard baissé.
Vous pensez à vos parents, par exemple. Quoi que... Bien que très différents, il y a toujours eu de l’affection entre eux. Non... au fond, une autre question se précise dans votre esprit : à qui aimeriez-vous ressembler ? « A Cadel Hopkins, comme d’habitude. » Mais, maintenant qu’il s’est retiré de toutes les compétitions, il va devenir beaucoup plus difficile à suivre. « A quoi va-t-il ressembler dans l’anonymat ? Que vont devenir son envie de gagner, sa force physique et sa force mentale ? Tout ça ne peut pas disparaître... Il n’a pourtant jamais parlé de devenir entraîneur ou de garder un pied dans le monde de la course. Peut-être va-t-il se reposer et revenir ensuite dans un an ou deux. Il aura encore de quoi faire parler la poudre. » Vous parcourez des yeux les étiquettes au-dessus ds bacs.
Et vous, à quoi ressemblera votre « retraite » ? Le moment où vous n’aurez plus besoin de prouver quelque chose... Est-ce que « être heureux » signifiera « ne rien faire » ? Ça n’aurait pas de sens... Quel que soit l’âge, il est vital d’avoir envie de quelque chose. De se dépasser pour l’obtenir... Vous pensez à nouveau à vos parents. « Elever des enfants... Oui, ça peut être une nouvelle forme de défi. Leur apporter tout ce dont ils ont besoin, leur donner confiance, les protéger tout en les préparant à affronter la vie. Encore faut-il trouver la bonne personne avec qui partager cette... activité. Former une équipe. » Alors, c’est quoi l’amour ? Vous fouillez justement le rayon des chansons françaises. L’amour... encore l’amour... toujours l’amour... Sur tous les rythmes, à toutes les sauces. Votre regard plonge dans le bac. « Edith Piaf... L’hymne à l’amour... Mon manège à moi... La vie en rose... Les Amants... » Elle, vous n’avez jamais pu la supporter. Il y a la voix, d’accord, mais les paroles sont quand même d’une mièvrerie... Vous avez essayé de vous y mettre il y a quelques années mais bon... « Ça répète tout le temps la même chose et ça dégouline de tous les côtés... Non, je ne regrette rien... Ben voyons... Ça, ça aurait pu faire une bonne chanson sur le sens de la vie mais, là encore, les paroles ne décollent pas vraiment... »