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Je vais rejoindre Luigi

            « Alors Luigi... Décidément, t’as décidé de pourrir la totalité de ma journée ! Attache bien l’élastique de ton slip et attends-moi pour 11 heures au bord de la piste. Manche en 8 tours et le perdant paie la bouffe, c’est clair ? Bises quand même. » Message envoyé... « Désolé Diana, je ne serai pas disponible ce matin. On se recontacte et on remet ça ? A bientôt. » Message envoyé. « Et voilà, la journée vient de commencer. »

Vous mettez la musique à fond et vous laissez les vibrations guider vos mouvements. Vous vous sentez tout à coup porté par votre adrénaline habituelle. L’adrénaline du sport. Une énergie presque... enfantine. C’était sûrement cela qui vous manquait ce matin.

Vous réfléchissez en sautillant devant la pendule : il est 8 heures, la douche et le petit-déjeuner sont déjà passés, et vous avez rendez-vous à 11 heures ce qui vous laisse donc deux bonnes heures et demie de libre avant de partir. « Comment je vais occuper tout ça ? Un peu de ménage ou de rangement, peut-être... » Vous ouvrez d’abord le placard du meuble-télé et vous démêlez les fils de votre console de jeu. « Pour le kart, ce qui compte avant tout c’est... la vista ! »

En général, vous préférez les loisirs extérieurs et vous n’êtes pas un consommateur effréné de ce type de machine... Mais bon, vous avez quelques jeux pour les dimanches pluvieux et les nuits sans sommeil. Par contre, vous détestez les simulations (tennis, foot...) qui donnent l’impression de faire sport sans lever ses fesses. Vous chargez votre championnat de formule 1 (discipline que l’on ne peut pas pratiquer dans sa vraie quotidienne), histoire de stimuler vos sensations pour tout à l’heure. « Comme pour tout le reste, l’essentiel pour s’amuser est de bien choisir son niveau de difficulté. » La compétition va commencer... A partir de cet instant, vous ne verrez plus le temps passer (sauf, bien sûr, le chronomètre qui sera affiché en bas à droite de l’écran).

 

            Vers 10 heures moins dix, vous interrompez votre 24ème partie. La tête vous tourne un peu. Vous avez mal au milieu du front – « au troisième œil » comme dirait Luigi. C’est une sensation d’épuisement cérébral que vous n’aimez pas beaucoup... Vous vous levez de votre canapé et vous préparez un de vos survêtements. Un petit jogging jusqu’au kart-club vous permettra de vous détendre et de vous remettre les yeux en face des trous. Vous vous déshabillez et, machinalement, vous vous dirigez vers la douche. « Ah, non... Je l’ai déjà prise. En plus, ce n’était pas vraiment un effort physique. »

Vous repassez quand même devant votre miroir. Le même visage que tout à l’heure mais sans la buée. « C’est sûr que, une fois de plus, ce n’est pas très constructif tout ça. C’est du plaisir, de l’énergie pure mais, une fois que le moteur sera coupé, il n’en restera pas grand-chose... Enfin, ce seront quand même de vraies sensations. » Vous attendez quelques instants mais le petit garçon n’a manifestement rien de nouveau à vous dire.

Vous êtes donc seul. Vous vous habillez en pensant Cadel Hopkins. « Comment on peut faire pour vivre avec toute cette adrénaline et, d’un seul coup, passer à autre chose ? Mettre un terme à sa carrière... La plupart des sportifs s’arrêtent quand ils sont fatigués ou qu’ils n’ont plus le niveau. Moi, c’est différent, je ne suis pas encore fatigué et mon niveau ne regarde que moi... » Vous essayez quand même de vous souvenir de vos sensations de ce matin... Des regrets ? de la lassitude ? Non, pas vraiment... De la peur, peut-être.

« Ce qui est énorme, c’est quand les athlètes s’arrêtent alors qu’ils sont au top... Mais, à ce moment-là, personne ne les comprend. En tout cas, pas les autres sportifs qui les envient comme des malades... Cadel Hopkins... Avoir tout gagné. Savoir qu’on peut encore être le meilleur... Et s’arrêter... Mettre un terme à sa carrière. » Une fois de plus, vous cherchez du regard le petit garçon dans un miroir. Après tout, c’est lui qui vous a poussé à devenir ce que vous êtes. S’il considère que votre carrière est terminée, vous pourrez l’accepter mais à condition qu’il vous dise vers où aller maintenant.

« J’ai fait tout ça pour toi... Pour te protéger et pour... que tu aies ce que tu mérites. Pourquoi est-ce que, aujourd’hui, ça ne suffirait plus ? C’est maintenant que j’ai besoin d’une réponse claire et tu n’apparais pas. » Toujours rien... une petite phrase venue d’ailleurs résonne quand même à vos oreilles : « Inutile que j’apparaisse puisque je suis déjà devant toi. » Hou la... Vous jetez un dernier regard à votre allure de beau gosse et vous allez vous habiller.

Quelques minutes plus tard, vous chaussez vos baskets et vous êtes prêt à partir. Un coup d’œil à votre ordinateur : réponse de Luigi arrivée vers 9 heures. « Quel slip ? Tu sais très bien que je mets toujours des porte-jarretelles sous ma combinaison. OK pour le challenge, j’ai réservé la piste. A toute. » Allez, un petit sourire avant d’éteindre la machine. C’est parti !

 

Vous traversez la ville en petites foulées en direction du kart-club. La circulation est déjà difficile. On entend des klaxons et des chants de supporters français et espagnols. Plutôt espagnols d’ailleurs. Des cris. Des drapeaux sur les voitures. Toute une effervescence, toute une énergie est en train de s’installer autour du match de ce soir. « Ça, ce n’est quand même pas moi qui l’ai inventé... Tous ces gens sont portés par la même énergie que moi... Et ce ne sont pas tous des gamins attardés, non ? » Vous courez tout en continuant à réfléchir mais, au final, vous n’arrivez à rien de précis jusqu’à votre arrivée au kart-club. Vous êtes un peu en avance mais Luigi vous attend déjà devant l’entrée avec Nikki, une de ses copines. « Salut, bel athlète. Tout est prêt. On attend Vinz et on y va. » Son téléphone sonne. Il semble très pressé de répondre et s’isole un peu. Vous restez à côté de Nikki sans trop savoir quoi lui dire.

« - Tu viens au match, ce soir ?
- Non, Luigi n’a pu avoir que deux places. »

Nikki est une amie d’enfance (peut-être une ancienne voisine) de Luigi qui l’accompagne parfois dans vos sorties. Vous connaissez Luigi depuis le lycée mais, elle, vous ne savez pas grand-chose à son sujet : elle n’est pas très causante, elle se tient plutôt à l’écart et aime se donner un air revêche. Elle est assez mignonne mais vous n’aimez pas ses cheveux très courts et son allure de garçon-manqué. Plusieurs fois, vous vous êtes demandé si elle n’était pas lesbienne... mais vous n’avez jamais osé poser la question à Luigi (mais vous savez qu’il n’est jamais sortie avec elle).

La conversation de Luigi s’étire, Vinz n’arrive toujours pas et Nikki vous regarde à peine : comme d’habitude, elle n’est pas très causante et se tient plutôt à l’écart avec son petit air et son allure. Quelques minutes... Luigi raccroche son téléphone et Vinz arrive enfin. Ouf... Vous entrez dans le kart-club, toutes les formalités ont déjà été réglées par Luigi (c’est lui qui paie, comme d’habitude) ; il n’y a plus qu’à enfiler vos combinaisons avant de vous retrouver au bord du circuit.

 

               Quelques tours individuels pour faire chauffer le chronomètre et vous vous mettez en place pour la course en ligne. Luigi, meilleur chrono des essais, choisit la ligne 3 (il n’aime pas prendre la corde au premier virage), vous prenez la ligne 2 en laissant la corde à Nikki et l’extérieur à Vinz. Le gérant du circuit vous rejoint pour donner le départ et surveiller la course. « Départ placé, huit tours de piste. Vérifiez vos casques. Prêts ? »

Rugissements, fumées, vibrations. Vinz et Nikki partent légèrement en avance mais cela ne vous gène pas. Comme Luigi, vous n’aimez pas faire la course en tête. Vous préférez mettre la pression sur les adversaires plutôt que de les avoir dans votre dos. Les pousser à la faute pour prendre la corde dans les derniers virages. De toute façon, l’essentiel n’est pas dans la victoire mais dans les sensations de course. Les bruits, les gestes, le poids du casque... rien à voir avec un jeu vidéo ! Ce n’est pas non plus comme un match de tennis ou une épreuve de triathlon. Il ne s’agit pas de gérer un effort physique long et de se ménager des temps de « souplesse mentale ». Tout est dans l’impulsion, dans l’agressivité pure. Tension maximale avant le relâchement total de l’arrivée.

Nikki mène facilement la course pendant les six premiers tours. Elle accepte manifestement d’être devant et ne cherche pas de stratégie particulière. A partir du septième tour, vous accentuez la pression avec Vinz et Luigi.

Au huitième tour, Vinz négocie mal un virage et se fait peur sur une bordure. Il relâche un peu sa vitesse et préfère attaquer en ligne droite. Insuffisant. Sur la dernière chicane, vous serrez Nikki pour prendre la corde mais elle hésite, gère mal ses vitesses et vous oblige finalement à ralentir pendant que Luigi parvient à se glisser habilement sur l’extérieur et à ré-accélérer en tête à l’entrée de la ligne droite. Victoire assurée pour votre pote. Vous laissez la deuxième place à Nikki et vous vous offrez une dernière accélération en ligne avec Vinz.

Le gérant du circuit vous déclare 3ème et Vinz 4ème. Luigi sort de son kart et se met à courir les deux bras en l’air. Il a gagné son repas à la cafétéria du club. « Eh ben voilà... Elle n’est pas belle comme ça, la vie ? » Une belle course... et puis un bon steak-frites avec les copains (steak et riz blanc pour vous). Ça rigole bien et, cette fois, tout le monde est dans l’ambiance. Nikki, Vinz, Luigi et vous. L’essentiel de la conversation tourne autour de blagues débiles et de fanfaronnades mais c’est manifestement ce dont tout le monde a besoin ces temps-ci. Et puis Luigi commence à parler du match de ce soir et à chanter des hymnes de supporter. Dans ces moments-là, il devient frénétique et carrément grossier... bref, irrésistible. Vers 14 heures, Vinz doit vous quitter pour « raisons professionnelles ».

« Bon, qu’est-ce qu’on prévoit pour cette après-midi ? Ah, excusez-moi, j’ai un appel. » Luigi décroche à nouveau son téléphone et s’éloigne un peu. Vous restez seul à table avec Nikki, beaucoup moins... discrète que d’habitude.

« - Alors, beau gosse, qu’est-ce qu’on prévoit pour cette après-midi ?
- Euh... j’allais écouter les propositions de Luigi.
- On pourrait aussi s’échapper tous les deux. Tu rejoins déjà Luigi ce soir, non ?
- Oui mais... ce serait quand même plus poli de l’attendre.
- Ah, tout dépend de ce que l’on a envie de faire... »
Vous jetez un coup d’œil... Non, Luigi reste toujours accroché à son portable.

« - Je vais quand même voir s’il n’a pas prévu autre chose. On pourrait se revoir une autre fois.
- Non.
- Pourquoi ?
- J’adore les moments où l’on n’a pas le temps de réfléchir. Rien n’est prévu, on peut profiter de mon appart et, après huit tours de piste, je ne suis pas vraiment fatiguée... Je ne suis pas très « rencard prévu la veille », si tu vois ce que je veux dire.
- Je vois très bien.
- Dès que Luigi revient, je vous laisse et je sors t’attendre devant le club. Tu trouves une excuse et tu me rejoins. Je te laisse cinq minutes, ça ira ? »

Luigi revient à votre table pour reprendre ses blagues Nikki se lève, s’excuse pour « raisons professionnelles » et sort de la cafétéria.

« - Alors, qu’est-ce qu’on prévoit pour cette après-midi ? J’aimerais qu’on ait le temps de discuter d’un truc sérieux tous les deux.
- Eh bien... Nikki vient justement de me proposer de passer l’après-midi en tête-à-tête avec elle.
- Ah... tu es sûr qu’elle pensait vraiment à un « tête-à-tête » ?
- Ben, en tout cas, je préfère te le dire..
- Aucun problème pour moi. Rien à dire, tu fais ce que tu veux... à condition, évidemment, que tu me le racontes ensuite.
- Et de quoi est-ce que tu voulais me parler ?
- Ah, on ne peut pas tout avoir. Si je commence à te répondre, il y aura peu de chances que Nikki t’attende encore quand j’aurai fini. Mais c’est comme tu veux. Si tu veux partir pour « raisons professionnelles »... libre à toi. »

Bon, puisque tout le monde vous laisse le choix, vous disposez encore de... environ trois minutes pour décider de la suite de votre après-midi.

 

Vous restez discuter avec Luigi.

Vous sortez rejoindre Nikki.